Accueil > 2012 > décembre > L’apocalypse : un concept chrétien, pas maya !
L’apocalypse : un concept chrétien, pas maya !
Juan Villoro | reforma.com - courrierinternational.com | vendredi 7 & jeudi 20 Décembre 2012
jeudi 20 décembre 2012
MEXIQUE • L’apocalypse : un concept chrétien, pas maya !
Juan Villoro | reforma.com
- courrierinternational.com | vendredi 7 & jeudi 20 Décembre 2012
L’écrivain mexicain Juan Villoro a arpenté le pays maya, où personne ne croit à la fin du monde, une notion finalement très chrétienne. Les descendants des Mayas, eux, sont véritablement menacés d’extinction, apocalypse ou pas.
Et si les descendants des mayas étaient les seuls à être concernés par la fin du monde ? - Malavoda/FlickR/CC
Grâce au tourisme du Jugement dernier, les hôtels [du pays maya] affichent "complet" le 21 décembre. Les esprits chagrins veulent
être en première ligne pour se délecter du spectacle de la destruction du monde
et ceux qui croient en la vie éternelle voient l’apocalypse comme une bonne
occasion de recharger leurs batteries en espérant un meilleur avenir.
Quel crédit accorder à la fin du
monde ? En juin, lorsque j’ai arpenté la région pour y
rencontrer des archéologues et des spécialistes de l’épigraphie dans le cadre
de la série télévisée Piedras que hablan [Pierres qui parlent], aucun de ces
scientifiques ne prenait au sérieux cette prédiction.
Vivant dans un écosystème instable dû – pensaient-ils – à des divinités aux exigences capricieuses, les Mayas ont tenté de pacifier le cosmos en offrant des sacrifices. Les dieux avaient créé
l’homme pour assurer leur pérennité et le sang versé nourrissait des êtres
sacrés qui contrôlaient le mouvement des astres. La science était indissociable
de la religion ; les connaissances astronomiques de ce peuple qui a
inventé le zéro venaient renforcer une conception divine de l’univers, ordonné en
roues calendaires et soumis à la férocité des éléments.
Des cycles de 144 000 jours
C’est aux Mayas que nous devons le
mot ouragan et la dernière page du codex de Dresde [un des plus beaux manuscrits mayas, de la région de Chichén Itzá, conservé à la bibliothèque de Dresde] montre les excès auxquels la
nature est encline. Mais la vision du monde des Mayas n’envisage pas de fin : ce
qui disparaît réapparaît d’une manière ou d’une autre. La fin du monde est un
concept chrétien qui s’exprime avec force dans l’Apocalypse de Jean.
L’avènement du Seigneur passe nécessairement par le Jugement dernier.
D’où vient donc alors cette
"apocalypse maya" ? Le 21 décembre 2012 marque la fin du 13e B’aktun , un cycle de 144 000 jours. La
fin de ce cycle est inscrite sur le monument 6 du site de Tortuguero, dans
l’Etat du Tabasco, mais rien n’indique qu’un 14e B’aktun soit impossible
(puisque c’est un concept étranger à la spiritualité maya).
Malheureusement, les preuves les plus
maigres suffisent à réveiller les fantasmes les plus forts. Interprété à la sauce ésotérique, ce
monde disparu fait peur. Le B’aktun qui a commencé le 13 août de l’an 3114
av. J.-C. a envahi l’actualité et le compte à rebours fatal échauffe les esprits.
Ces peurs irrationnelles doivent
beaucoup à Hollywood, dont les effets spéciaux ont le pouvoir de détruire l’univers sous nos yeux. Bien évidemment les amateurs de popcorn n’imaginent
pas une seconde que la fin du monde arrivera près de chez eux. Le Yucatán [Mexique] en
revanche est plus prometteur. N’est-ce pas là qu’on a découvert la trace de l’immense météorite qui a modifié le climat et fait disparaître les
dinosaures ? Il s’agit donc d’une destination parfaite pour le tourisme de
la fin du monde, un dernier luxe à s’offrir.
Mais les dieux mayas refusent de
soutenir cette cause. Chac s’occupe de la pluie, Yum Kaax lutte contre le maïs
transgénique et les Bacabs parcourent le ciel sans trouver de présages
funestes. En outre, Felipe Calderón [président du Mexique de 2006 à 2012], le Seigneur de la destruction, [allusion à la guerre meurtrière contre le trafic de drogue qu’il avait entrepris] n’est
plus à la tête du pays.
Faute de preuves, les amateurs de fin
du monde n’hésitent pas à piocher dans les autres cosmogonies et nous parlent
désormais de Niburu, une planète vagabonde qui devrait entrer en collision avec
la Terre. Une fois de plus, le danger se pare de références à un passé lointain.
(Niburu est un dieu de la Mésopotamie et, dans quelques millénaires, les gens se
feront sans doute peur avec une planète portant le nom d’une divinité
médiatique du très lointain XXIe siècle comme Rihanna ou Cristiano Ronaldo.)
Et les deux pays qui revendiquent la
suprématie de l’espace interstellaire n’y échappent pas. On pourrait penser
que les puissances qui envoient dans l’espace cosmonautes et astronautes sont
moins superstitieux. Mais la Russie est en proie à la panique et les
kits de survie (contenant vodka, allumettes et même un petit carnet pour noter
ses impressions de la fin du monde) se vendent comme des petits pains. De leur
côté, les Etats-Unis ne sont pas plus été épargnés au point que la Nasa a
dû publier un communiqué pour expliquer que l’univers n’avait pas bougé. (On ne
recense à ce jour aucune inscription maya disant en substance : "Houston,
nous avons un problème".)
Exclusion et injustice
Tout indique que le 21 décembre, le
monde continuera comme avant. Et les seuls à être menacés d’extinction, ce sont
justement les héritiers de ceux qui ont construit les pyramides mayas. José Huchin
est l’un des rares archéologues d’origine maya, il travaille à Chichén Itza, et selon
lui : "Seuls les Mayas peuvent comprendre ces pierres."
En 1994, l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) avait demandé à ce
que les Indiens ne soient pas exclus du développement. Sans succès. Dans moins
de deux ans, un autre cycle calendaire maya – un katun – s’achèvera et marquera la fin
d’un cycle de vingt ans de lutte contre l’exclusion et l’injustice.
Sur proposition du sous-commandant
Marcos, les discussions entre le gouvernement et l’EZLN avaient eu lieu sur un
terrain de basket. Cette requête apparemment inoffensive se voulait une référence
contemporaine au jeu de balle maya, un sport rituel qui symbolisait la dualité
de l’univers. Signés en 1996, les accords de San Andrès demeurèrent lettre
morte.
Ce n’est pas la fin du monde qui
menace mais bien la disparition d’une culture. Les derniers locuteurs mayas
vivent un cataclysme quotidien. Vénérés comme des pièces de musée, leur avenir
est inexistant. Les Mayas de la période classique ont
la chance d’appartenir à l’Histoire. Les Mayas de notre époque n’ont pas
d’histoire. Alors ne nous préoccupons pas de ce
qui peut arriver mais plutôt de ce qui doit prendre fin.
texte en espagnol ici
Voir en ligne : L’apocalypse : un concept chrétien, pas maya !